Extraire la vocation de Genève
Genève Gagne!
Expression de la conscience collective genevoise, ce slogan est né de la crise. Il illustre à merveille deux tendances diamétralement opposées. Sous des dehors frondeurs et ...gagneurs, “Genève gagne” résonne comme une affirmation timide et incertaine, comme une dernière tentative pour renier l’atmosphère de morosité qui fait de chaque inspiration un effort surhumain.
Mais au-delà de ce dernier sursaut moribond pour conjurer l’inévitable déclin, ce slogan véhicule un merveilleux espoir. Mieux : l’opportunité d’une trancendance!
Genève peut gagner : Genève peut renaître dans une nouvelle dimension de sa vocation. Aujourd’hui, sur notre planète où tout est interelié et interdépendant, on ne peut gagner que tous ensemble. Le bien-être individuel et régional est indissolublement lié au bien-être général. Comprenez : planétaire et cosmique.
La nouvelle dimension de la vocation de Genève, c’est l’éducation. Education au sens large, global et spirituel : permettre à chacun de transformer sa vision du monde, de se défaire des reliquats de la pensée rationaliste du 19e siècle pour entrer renouvellé dans le prochain siècle.
Notre ville est depuis longtemps une ville phare, un "laboratoire" de la planète. Toutes les races, les nationalités et les religions s’y côtoient. Lorsque notre compréhension du monde était dominée par une vision religieuse, Genève a été le berceau d’une nouvelle synthèse, le protestantisme. Dans les premiers soubresauts douloureux d’une société mondiale, Genève a donné naissance aux grandes organisations humanitaires, puis à la Société des Nations, pour enfin accueillir l’ONU et ses organisations dérivées. Avec l’intensification du commerce et de la politique internationale, Genève est devenue un important carrefour politique et financier.
Lors de crises importantes, Genève a su offrir au monde le modèle de l’étape suivante de l’évolution humaine. Moralité : il faut qu’on s’bouge !
La crise actuelle est beaucoup plus profonde qu’on ne veut bien l’admettre. C’est notre vision du monde qui s’écroule, et avec elle, toutes nos habitudes, nos certitudes et nos systèmes sociaux. Un monde se meurt, un autre naît. Dans tous les domaines de la connaissance, des bouleversements majeurs ont lieu, qui rendent caduques notre savoir, nos comportements et nos institutions. Nous devons impérativement transformer notre compréhension, et nous y sommes pressés de toutes parts. La lecture du journal d’aujourd’hui suffit pour nous en convaincre : nous ne résoudrons pas la crise avec les recettes du passé.
C’est l’ensemble de la communauté genevoise - et mondiale...- qui doit apprendre à penser autrement.
Genève, capitale de l’éducation consciente !
Le projet est simple : mettre au point, expérimenter puis offrir à la collectivité mondiale un programme d’éducation globale et transdisciplinaire, qui représente la synthèse de nos plus récentes découvertes sur la nature de la réalité. Un projet qui implique tous les citoyens, tous les âges, tous les domaines d’activité, tous les échelons sociaux.
Ce projet est simple, parce qu’il renverse nos perspectives. Plutôt que de faire un inventaire complexe de nos problèmes et différences, il a pour objectif de trouver les dénominateurs communs à ces différences, de les inscrire dans une nouvelle synthèse, puis d’expérimenter le résultat dans notre communauté.
Le processus de transmutation de la vocation de Genève durera jusqu’à l’an 2000. Il constituera un vaste "chantier", une coopération active de tous les acteurs de la société. Des bases éthiques garantiront le sain développement du processus : ce projet est une aventure commune, absente de dogmatisme, et dans laquelle chaque partie participe au bien de l’ensemble.
Dans un premier temps, une vaste campagne d’information jettera les bases du projet, et encouragera tous les partenaires sociaux à articuler leur propre vision du renouvellement de la pensée et des comportements dans leurs domaines respectifs. Simultanément, des rencontres entre groupes sociaux permettront de stimuler la créativité de chacun.
Des congrès et conférences seront organisés. On invitera des figures de proue de différentes disciplines, des visionnaires qui ne cherchent plus à résoudre la crise avec des recettes du passé, mais qui ont les yeux assez ouverts pour distinguer les nouvelles tendances, et l’esprit assez souple pour leur donner une articulation concrète.
Des jardins d’enfants à l’université du troisième âge, des réflexions et des travaux seront organisés sur le thème du renouvellement de la pensée : la réalité étant le miroir de nos pensées, quels types de pensées peuvent nous garantir un avenir harmonieux ?
Les différents partis coopéreront au sein de groupes de travail pour élaborer une transformation de la pensée politique, stimulés par leur efforts pour intégrer leurs différences dans un contexte plus vaste. De même, les entreprises, syndicats et employés articuleront des concepts orientés sur une perspective commune.
Un département d’Etat spécial sera créé pour l’occasion. Son rôle sera d’animer et de gérer le développement du projet, d’assurer la communication entre ses nombreux participants, de lui donner une forte audience au sein de la population, de favoriser toute initiative allant dans son sens, et de maintenir le niveau de qualité de l’ensemble. Les divers départements de l’Etat apporteront leur concours dans leur propres domaines d’intervention.
Les banques et les grandes entreprises mèneront leur propre réflexion vis-à-vis du renouvellement de la pensée, dans leurs structures et dans leurs rapports avec le monde. Elles nourriront aussi le projet en favorisant des initiatives artistiques ou culturelles directement reliées au projet.
Les médias seront aux anges. Des cahiers spéciaux témoigneront de l’avancement du projet. Des émissions retransmettront les débats et rencontres. Dans les bistros et les trams, les discussions iront bon train, chacun partageant ses expériences et découvertes.
Genève redeviendra une ville pilote dans le présent, au lieu de contempler avec nostalgie son rayonnement passé. Oubliée, la concurrence avec Vienne ou New-York : le jet d’eau deviendra le symbole d’une connaissance intérieure qui jaillit du réservoir de conscience commun. Les organisations internationales ne voudront quitter pour rien au monde la ville qui représente l’essence de leur existence : la promotion et l’établissement d’un nouvel ordre de compréhension. Les responsables de l’office du tourisme seront comblés de joie.
Bien d’autres idées apparaissent, mais... chut ! C’est la contribution de chacun qui fera la richesse du projet. La morosité disparaîtra en même temps que l’absurdité actuelle, évacuée par l’émergence d’un véritable Sens de la Vie.
Pour résumer, la crise actuelle est la conséquence directe de notre vision du monde. La vocation de Genève a toujours été de modeler et de rayonner de nouveaux ordres de compréhension, à travers les formes les plus appropriées à chaque époque. Aujourd’hui, notre défi est de transformer notre vision du monde. C’est l’essence de l’éducation, et l’éducation dure toute la vie.
Genève peut devenir la capitale de l’éducation, le phare d’une renaissance de la conscience. Ca ferait plaisir à Piaget.
Alain-Yan Mohr,
Publié dans "Santé pour tous", Mars 1993
Troisième prix du concours "Un Projet pour Genève" de la Tribune de Genève, 1993