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Lettre ouverte aux prisonniers volontaires

Chers détenus,

Même dans vos pires cauchemars, vous n’aviez pas osé imaginer qu’un jour, votre prison puisse se rétrécir au point qu’il ne vous reste plus d’autre solution que d’en sortir. Vous aviez pourtant tout bien aménagé. Votre travail, vos loisirs, vos assurances, votre statut social, vos options philosophiques ou religieuses, tout semblait stable, solide, sécurisant, planté là pour l’éternité.Pour garantir la stabilité et la continuité de votre réalité pénitentière, vous aviez confié les clés de votre destin à des autorités compétentes, choisies pour leur respect de l’environnement carcéral. Vous aviez confié votre santé aux médecins et aux grands groupes pharmaceutiques. Vous aviez confié la direction de votre vie aux politologues et aux sociologues, vos moyens de survie aux économistes et aux banques, la définition de votre réalité aux scientifiques et aux médias, l’intégrité de votre être aux psychiatres, aux religieux ou aux marchands d’illumination. Pour évacuer les quelques inquiétudes restantes, vous aviez additionné les polices d’assurances et les caisses de retraite. Et pour perpétuer cet oasis de sécurité, vous aviez confié l’éducation de vos enfants à l’instruction publique.

Vous ne pouviez vraiment pas faire plus pour garantir la survie du système. Il suffisait de rester dedans, pensiez-vous de toutes vos forces, il suffisait d’ignorer la réalité extérieure et tout pourrait continuer.

Et pourtant, l’impossible, l’impensable, l’imprévu s’est produit, là où vous l’attendiez le moins. La prison que vous aviez bâtie avec l’énergie du désespoir est devenue invivable. Elle s’est rétrécie chaque jour davantage. Les frais d’entretien de la prison n’ont plus permis d’entretenir les détenus. Les coûts de la santé ont constamment augmenté, ce qui vous a rendu encore plus malades. Le coût de la vie a augmenté en parallèle avec le chômage. Pour de moins en moins de confort, vous avez payé de plus en plus cher. Calfeutrés dans vos cellules, vous avez vu des gens qui ne devraient pas exister venir frapper à vos portes pour obtenir des bribes de l’oubli duveteux que vous aviez cultivé. Incapables d’accepter la faillite de votre système, vous avez redoublé de ferveur, voté pour la TVA, élu les plus illustres défenseurs du système qui garanti la liberté d’être détenu, espéré de tout votre sérieux que tout redevienne comme avant.

Mais les murs d’enceinte de la prison se fissuraient, ils rétrécissaient inexorablement. Ils laissaient suinter la vie, avec son cortège d’incertitudes, de bouleversements, d’obscène exhubérence. A coup de chaine du bonheur, vous avez tenté de combler les failles. Peine perdue. La prison rétrécissait toujours.

Finalement, la prison s’est tellement rétrécie qu’elle a disparu de votre vue. Vous avez cherché partout les images familières et rassurantes d’un mur, d’un barreau... Plus rien. Pourtant vous saviez qu’elle existait, vous sentiez son atmosphère, ses limites. Désorienté, vous vous êtes interrogé. Vous avez réalisé que la prison s’était transformée en cage, à l’intérieur de votre esprit, et que vous étiez enfermé dans cette cage. L’angoisse vous a étreint, la cage s’est rétrécie. L’angoisse s’est transformée en une peur brute qui a rempli l’espace de votre conscience, rétrécissant implacablement la cage. Comprenant soudain, vous vous êtes figé, n’osant plus respirer même en pensée, de peur d’être broyé par les barreaux de la cage.

Depuis cet instant, vous êtes resté immobile. Graduellement, avec votre humeur, la cage s’est modifiée ; sa texture est devenue filandreuse, comme une... chrysalide. Du plus profond de vous-même, des bulles d’enfance depuis longtemps reniées sont venues éclater à la surface de votre conscience : bulles d’exubérence, d’insouciance, de créativité, de liberté, de jeu, de sensualité espiègle. Stupéfait, vous avez pris conscience de votre immense potentiel d’extase.

Vous avez réalisé que plus rien ne sera comme avant.

Alain-Yan Mohr 94

Prisonniers volontaires

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